I
Les dernières prières étaient dites, la cérémonie funéraire s’achevait. Tout en prononçant les formules rituelles, Montu, un divin père du temple d’Hathor, balayait la chambre mortuaire pour en faire disparaître toutes traces de pas laissées par les esprits malins. La porte du tombeau murée à jamais, on déposa dans une chambre voisine tout ce qui avait servi au travail des embaumeurs, les pots de natron et de sel, ainsi que tous les vêtements qui avaient été en contact avec le corps, puis la porte fut fermée et scellée, elle aussi.
Imhotep poussa un soupir, redressa les épaules et se départit de l’attitude dévotieuse qu’il s’était imposée durant toute la cérémonie. Tout fut fait de façon convenable. Nofret avait été ensevelie selon les rites et sans qu’il fût regardé à la dépense. Imhotep estimait même que, sous ce rapport, on avait fait les choses un peu largement.
Imhotep échangea quelques politesses avec les prêtres qui, leur saint office rempli, reprenaient contact avec les réalités terrestres, et tout le monde se mit en route vers la maison où une collation attendait. Imhotep s’entretenait avec le grand-prêtre des derniers événements politiques.
Thèbes devenait rapidement une puissante cité et il était très possible que l’Égypte tout entière se trouvât bientôt placée, une fois encore, sous une direction unique. L’âge d’or des bâtisseurs de pyramides pouvait revenir. Montu parlait avec respect du roi Nebhepet-Râ, à la cause duquel il semblait tout acquis. C’était un grand capitaine et un homme pieux, contre lequel le Nord, faible et corrompu, ne saurait se dresser longtemps. L’Égypte avait besoin de son unité et, celle-ci réalisée, Thèbes aurait devant elle un merveilleux destin…
Les hommes marchaient, parlant d’avenir. Renisenb se retourna vers la falaise. Elle pensait à la chambre mortuaire à jamais fermée.
— Ainsi, murmura-t-elle, c’est fini.
Elle se sentait comme soulagée. Qu’avait-elle craint ? Elle eût été incapable de le dire. Peut-être quelque accusation portée au dernier moment ! Mais tout s’était passé dans le calme et le recueillement. Nofret avait été enterrée selon les rites. C’était fini.
Henet, qui allait à côté de Renisenb, dit à voix basse :
— Je l’espère, Renisenb, je l’espère !
Renisenb tourna la tête vers elle.
— Que veux-tu dire, Henet ?
Henet fuyait son regard.
— Je dis que j’espère que c’est fini ! Seulement, quelquefois, ce qu’on prend pour une fin n’est qu’un commencement. Ce serait terriblement ennuyeux !
— Enfin, dit Renisenb avec un peu d’humeur, de quoi parles-tu ? Qu’est-ce que tu prétends insinuer ?
— Je n’insinue jamais rien, Renisenb ! C’est une chose que je ne fais jamais. Nofret est enterrée, tout le monde est content. Par conséquent, tout est bien !
Elles firent quelques pas en silence.
Puis Renisenb demanda à Henet si Imhotep l’avait interrogée sur les circonstances de la mort de Nofret.
— Naturellement ! répondit Henet. Il tenait essentiellement à ce que je lui dise ce que j’en pensais.
Et que lui as-tu dit ?
— Que c’était un accident et que ce ne pouvait pas être autre chose ! Tu ne te figures tout de même pas, lui ai-je dit, que quelqu’un de ta famille aurait tué Nofret ? Tout le monde dans ta maison a trop de respect pour toi pour qu’il s’y trouve quelqu’un qui aurait osé une chose pareille ! Il y en a qui grognent parfois, mais ça ne va pas plus loin ! Tu peux me croire, ai-je conclu, c’est par accident que Nofret est morte !
— Et mon père t’a crue ?
Henet branla la tête avec un air de visible satisfaction.
— Ton père sait combien je lui suis dévouée. Quand la vieille Henet parle, il la croit. Il m’apprécie, lui, quelle que soit l’opinion que vous puissiez avoir de moi, tous ! Heureusement, je n’attends de vous aucun remerciement et mon dévouement porte en lui-même sa propre récompense !
— Tu étais également très dévouée à Nofret.
— Je ne vois pas, Renisenb, où tu as été chercher cette idée-là. J’étais comme tout le monde, j’obéissais à ses ordres et je ne pouvais guère faire autrement.
— Elle croyait que tu lui étais très dévouée.
Henet ricana.
— Nofret n’était pas tout à fait aussi forte qu’elle se l’imaginait, mais terriblement orgueilleuse… et elle se figurait que le monde lui appartenait… Maintenant, c’est avec les juges du royaume des Ombres qu’il faut s’expliquer… et, là-bas, sa jolie frimousse ne lui servira de rien ! Quoi qu’il en soit, nous, nous sommes débarrassés d’elle…
Elle poussa un léger soupir et, la main sur une des amulettes qu’elle portait sur elle, ajouta :
— Du moins, je l’espère.